Après 40 ans derrière le micro…

Cela fait plus de 40 ans que, derrière le micro, Jean-Michel Bayen commente les Courses de Côte inscrites au calendrier épreuves du Championnat de France de la Montagne. Durant ces cinq dernières saisons, c’est lui qui officiait en qualité de speaker officiel de notre Championnat. Homme d’expérience, il s’est forgé au fil des décennies un regard aussi juste que bienveillant sur la discipline.

Même s’il a l’honnêteté de reconnaitre qu’il n’est pas un expert en la matière, en étant issu d’une famille de transporteurs, Jean-Michel Bayen a vu dès son plus jeune âge la mécanique alimenter les conversations familiales. Le père de Jean-Michel appréciait la compétition automobile, et c’est par la course de côte qu’il faisait découvrir à son fils cet univers de passionnés : « Je peux affirmer que c’est la course de côte qui fut la première discipline à déclencher ma passion pour les sports mécaniques. La première à laquelle j'ai assisté était la course de côte d'Urcy », se souvient le Bourguignon de naissance. « Dans les années 60/65, c’était pour moi une sorte de récompense, puisque lorsque j’avais de bons résultats scolaires, mon père m'emmenait à Urcy. »

Alors qu’il entrait dans l’adolescence, Jean-Michel voyait sa famille quitter sa Bourgogne natale pour s’installer dans la région parisienne. Son père avait à cette époque cédé sa société de transport à un groupe – Via Location – au sein duquel il allait poursuivre sa carrière en qualité de responsable des achats : « De ce fait, il était courtisé par bon nombre de fournisseurs – pétroliers, équipementiers – qui lui permettaient d’avoir ses entrées sur diverses manifestations. Ce fut pour moi l’occasion de découvrir le circuit de Montlhéry et, en 1969, de rencontrer notamment un pilote de légende, Juan Manuel Fangio. Je me souviens lui avoir dit que j’aimerais réellement m’impliquer dans l’univers du Sport Automobile, sans parler toutefois de courir. Il avait eu la gentillesse de me faire une dédicace en me souhaitant bonne chance. »

Au début des années 70, à la sortie du service militaire, Jean-Michel Bayen intégrait comme son père le groupe Via Location, qui lui proposait un poste à Clermont-Ferrand. Le Bourguignon de naissance s’installait donc en Auvergne, et trouvait un logement proche du circuit de Charade : « J’ai rapidement tissé des relations avec des passionnés de sport auto. J’ai même fait l’acquisition d’une Rallye II, avec laquelle je n’ai jamais couru mais que j’ai eu la ’’délicatesse’’ de mettre dans un rail en voulant m’amuser sur ce circuit de Charade », se souvient-il. « Bien évidemment, je me rendais chaque année sur la mythique Course de Côte du Mont-Dore, rendez-vous incontournable pour les auvergnats passionnés de sport auto. »

Débuts avec la fondation du magazine Slick
Si Jean-Michel n’a jamais réellement rêvé de devenir pilote, l’envie de s’impliquer dans le sport automobile restait prégnante : « J’apprécié le sport automobile dans sa globalité, mais il me paraissait inabordable. Seule la Course de Côte me semblait alors accessible, et c’est en fait pour cela que cette discipline a retenu mon attention », analyse-t-il. Initialement, c’est pour aider les copains que Jean-Michel donnait la main sur des épreuves : « Plus pour l’intendance et l’ambiance que pour l’assistance, car je suis une ’’quiche’’ en mécanique. »

Sa passion pour la conduite, il l’assouvissait en parcourant plus de 100.000 kilomètres par an pour mener à bien sa mission de technico-commercial : « Je parcourais la France, ce qui n’a pas échappé à mes copains qui venaient de fonder le magazine Slick. Ils considéraient qu’en me baladant partout dans l’hexagone, je pouvais avoir l’opportunité de rencontrer des pilotes, des acteurs du sport automobile, et rédiger des papiers. J’ai joué le jeu et j’ai organisé mon planning pour terminer mes tournées hebdomadaires dans un lieu où se déroulait une course. » Cette aventure allait permettre à Jean-Michel d’assouvir plusieurs passions : Le sport automobile, et la photographie, domaine dans lequel il fait preuve d’un réel talent. « Mais je n’ai jamais été tenté par les photos d’actions. Je préfère de loin les portraits, les paysages, des photos d’ambiance. Mon inclination va plus sur la saisie d’instants, sur un détail qui retient mon attention. »

A la fin des années 70, Jean-Michel Bayen s’installait à Lyon durant 2 ans, et le hasard voulait qu’il soit voisin avec le constructeur automobile Marcadier : « Il y a tout de même des coïncidences inattendues », estime celui qui poursuivait sa collaboration avec ’’Slick’’ en qualité de correspondant.

En 1978, toujours pour le compte de ’’Slick’’, Jean-Michel se rendait sur la Course de Côte de Crémieux. L’occasion pour lui de retrouver certains confrères, et notamment Jacques Caillaud, speaker sur l’épreuve et correspondant pour Echappement et Auto Hebdo : « Pour des raisons familiales, Jacques a dû quitter la course, et m’a demandé de le remplacer derrière le micro. C’est en fait lui qui m’a mis non pas le pied à l’étrier mais le micro à la bouche », explique Jean-Michel.

Speaker des Championnats Camions durant 30 ans
Une première expérience plus que concluante pour Jean-Michel, qui n’allait pas manquer de poursuivre dans cette voie en commentant de nombreuses épreuves en compagnie de Jacques Caillaud, un des speaker du CFM pour les épreuves du Sud, Bernard Desray s'occupant du nord et de l'ouest. : « J’ai également eu l’occasion d’officier aux côtés de Gilles Gaillard, autre speaker en CFM et journaliste auto. »

Par la suite, Jean-Michel participera avec son ami Marc Lachat à la création des Courses de Camions que l’on pouvait voir évoluer sur des circuits tels que Le Mans, Charade, Dijon, Nogaro ou le Paul Ricard. Tout naturellement, il s’installa derrière le micro pour commenter ces manifestations, et durant 30 ans, il sera speaker spécialisé dans cette discipline : « Les courses de camion ont tenu une place immense dans ma vie de speaker (mais aussi dans ma vie professionnelle puisque j’ai toujours travaillé dans le monde du camion) . De 1983 à 2014, j’ai commenté les épreuves françaises en compagnie de Marc Lachat et Bruno Vandestick et ça reste quelque chose de très important dans ma vie. »

Dans le même temps, Jean-Michel officiait également en qualité de speaker sur le Mont-Dore, (au départ, puis à la fameuse Carrière) et quelques autres épreuves du Championnat de France de la Montagne avec Jacques Caillaud: « Ce qui est paradoxal, c'est que je n'ai pour ainsi dire jamais commenté d'épreuves régionales, mes confrères étaient suffisamment nombreux sur place », analyse-t-il.

Sur de nombreuses épreuves, Jean-Michel Bayen officiera à de maintes reprises aux côtés de Bernard Desray : « Il fut pour moi un véritable maitre et un ami. Après sa disparition, en août 2015, je lui ai succédé en tant que speaker officiel du Championnat de France de la Montagne. »

Passion, rigueur et curiosité !
La fonction de speaker ne se cantonne pas à s’installer derrière un micro au départ d’une course. Il y a au préalable un long travail de préparation : « Il faut bien sûr être passionné, rigoureux, se renseigner, faire des recherches et être curieux de tout. Il faut à mon avis attacher une importance primordiale au relationnel. J’ai pour habitude d’aller au-devant des gens, de laisser trainer mes oreilles, sans jamais tomber dans le commérage. Je mets un point d’honneur à aller rencontrer les pilotes chez eux, en dehors des courses, pour mieux les cerner, en savoir plus sur leurs parcours. L'important est avant tout de faire vivre aux autres la course, en leur apportant ce qu'ils attendent ! Des temps, des classements bien sûr, mais aussi des infos techniques, des souvenirs, des anecdotes… »

Au fil des rencontres des liens se tissent, des affinités également. Mais cela ne doit jamais transparaitre derrière le micro : « C’est un point très important. Il faut impérativement garder sa neutralité dans les commentaire, et savoir également informer et rassurer les proches lors d'un incident sur le parcours. Donc, quelques fois, savoir aussi se taire et attendre les infos de la direction de course seule autorité compétente. »

En 40 ans, Jean-Michel Bayen a vu la discipline qu’est la Course de Côte se construire, se transformer, évoluer. Et bien évidemment certains pilotes et certaines époques furent pour lui plus marquantes : « J’ai du mal à expliquer pourquoi, peut-être parce que ça correspond plus à mes débuts, à une fraicheur et un enthousiasme naissant, mais j’ai été plus marqué par des pilotes comme Marcel Tarrès, Lionel Régal, Michel Pignard… Je pense aussi à Gérard Pradelle disparu trop tôt... Aujourd'hui beaucoup de pilotes de CN 2 litres m'impressionnent. Cette nouvelle génération est vraiment talentueuse, mais peut-être plus distante. Il est vrai que nous ne sommes plus de la même génération. »

Pour Jean-Michel Bayen, l’âge d’or de la Course de Côte se situe entre 1980 et 2010 : « A mon vieil âge je dirais c'était mieux avant… J’estime pendant les 30 ans de 1980 à 2010. L'époque des rois de la montagne, de Marcel Tarrès à Lionel Régal en passant par tous les grands noms de la catégorie, Anne Baverey, Pignard, Chamberod, Boccard, Debias, Mamers, Sourd, Fréquelin et j'en oublie..  Ces pilotes étaient de véritables leaders à l'éclectisme et au charisme reconnu. On se retrouvait sur chaque course avec un potentiel de huit vainqueurs !  Les réglementations étaient peut-être un peu plus évolutives et puis le bruit n’était pas aseptisé...les structures étaient ouvertes, bref une autre ambiance » estime-t-il.

« J'y ajouterai Nico Schatz et Seb Petit bien sûr, mais depuis quelques années si les performances ont progressé, si les records tombent,  les passages sont à mon sens moins impressionnants tant les voitures sont collées à la route. La règlementation, les coûts sont passés par là   »

De nombreuses anecdotes sont venues émailler les prestations de Jean-Michel Bayen, mais à l’heure de les évoquer, l’Auvergnat d’adoption veut surtout retenir les rencontres, les repas pris entre amis, les échanges. « Même si je reconnais avoir été marqué par mes débuts avec Jacques Caillaud, qui m’a appris la rigueur et l’organisation. Nous n’avions en effet pas d’écran informatique, les temps étaient communiqués grâce à la CB et nous calculions les additions de temps et les classements à la main sur d’immenses tableaux papiers. »

« Pour le reste, j’ai malheureusement surtout le souvenir de moments dramatiques », reconnait Jean-Michel. « En 1979 les tonneaux de la F2 de Guy Fréquelin, au Mont-Dore, près de l’arrivée. L'attente fut angoissant, comme à chaque sortie de route bien sûr. Mais cela ne l’empêcha pas d'être titré en fin d'année. »

Jean-Michel conserver d’autres souvenirs très difficile à évoquer : « Bernard Desray nous a quitté en juillet 2015, j’ai donc terminé la saison avant de devenir le speaker officiel du Championnat en 2016. Et pour ma première course, à Bagnols-Sabran, nous avons été confrontés à la dramatique disparition de Steeve Cabelo. Ce fut un moment très compliqué, terrible ! »

Mais la Course de Côte est également le théâtre, pour les officiels, de moments de franches rigolades : « Parfois on oublie que le micro reste allumé, et les spectateurs sont les témoins d’échanges des plus pittoresques… Il y eut également la traversée de Marseille direction Gémenos par les concurrents de l'épreuve de la Sainte Beaume. Les F2, les protos et les monstrueuses groupe 5 ont semé la « panique » en ville sur la Cannebière et sur tout le trajet », se souvient-il. « Le Mont Dore fut le théâtre également de grands moments surtout l’année ou Philippe Leclerc, Francis Dosières et d’autres ont décidé de faire exploser des pétards sous la cabane qui me servait de poste d’observation à la Carrière… Sans parler des remises des prix, à 23 h30 ou plus, aux Thermes où à la Patinoire. En parlant patinoire, un pilote m’a marqué par ses exploits sur la piste mais aussi par ses facéties, Christian Debias, à la remises des prix du Haut Cantal, ’’skis aux pieds, mode les bronzés font du ski’’ la vidéo circule sur le net…»

De part le suspense qu’elle génère, la discipline se prête aux moments forts, et Jean-Michel Bayen en a conservé quelques-uns à l’esprit : « Je me souviens de moments d'anthologies comme le passage de Michel Pignard à la Carrière du Mont Dore au volant de la Toj, appuyé sur le rail dans toute la courbe... Ensuite avec la Sierra RS 500… Le record à la nuit tombée de Geoffrey Schatz à Turckheim en 2017… Il y en a tellement ! »

Comme toute discipline sportive, la Course de Côte se doit d’évoluer. Homme d’expérience, Jean-Michel Bayen est à même de porter un regard objectif sur cette évolution : « L'arrivée des CM et le développement des CN 2 litres est un plus indéniable, la stagnation des groupes N et GT Sport est triste... Les voitures modernes ont elle leur place, et je ne parle pas de l'électrique ? Enfin, outre l'escalade en E2-SC et en GTTS, l'aspect financier devient déraisonnable et les coûts explosent ! On ne peut imaginer les sacrifices que font tous les pilotes pour courir, des 1300 groupe N aux monoplaces ou prototypes… Et puis il y a ce terrible drame qui frappe notre humanité en ce printemps 2020… Alors, l'avenir ! »

« Place à la jeunesse ! »
A l’issue de la saison 2019, Jean-Michel Bayen décidait de ne pas poursuivre son implication sur le Championnat de France de la Montagne. Une décision mûrement réfléchie : « Les speakers ont payé un lourd tribu à la côte ces dernières années. Bernard Desray, René Goesel, Jean-Pierre Boilon et de nombreux régionaux nous ont quitté. Cela m'a fait beaucoup réfléchir, et je voulais surtout "ne pas faire la saison de trop"... J’avais envie de profiter, sans pression, à mon rythme. J’en suis arrivé à un tournant où les contraintes – les longs déplacements, les nuits trop courtes – deviennent plus importantes que le plaisir… Et puis il faut savoir se remettre en question et se demander si ma manière de commenter convient à la nouvelle génération. Alors place à la jeunesse ! »

Mais Jean-Michel ne compte pas rester éloigné des Courses de côtes : « J’y reviendrai en spectateur, c’est une certitude. Et pourquoi pas assurer deux ou trois piges, venir en consultant si on me le demande. Je suis également passionné par le VHC, alors j’ai acheté un Camping-Car et je compte également aller voir de belles épreuves, en France ou à l'étranger, en tant que spectateur, histoire de retrouver cette grande famille de la côte. »

A l’heure de tourner une page, sans sombrer dans la nostalgie, Jean-Michel Bayen veut conserver le souvenir des moments marquants de 40 années passées derrière un micro : « Je garderai en mémoire ces paysages somptueux de notre belle France, des bagarres sportives épiques et puis la rencontre et la naissance d'une amitié fidèle avec quelques pilotes, officiels et certains organisateurs. La côte, version coulisses est une grande famille… Mais Speaker n'a jamais été pour moi un travail. La notion de plaisir a toujours été la priorité, j'insiste là-dessus. Cela ne me prenait jamais plus d'une douzaine de week-ends par an, je n'ai jamais voulu en faire mon métier », conclut-il


Propos recueillis par Bruno Valette ©

 


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