A 60 ans passé, Serge Thomas défie la jeune garde

Après avoir durant de nombreuses années animé les épreuves régionales, Serge Thomas a décidé cette saison de s’engager sur le Championnat de France. En constante progression, il n’a pas tardé à monter sur les podiums du CN/2, franchissant à chaque épreuve un nouvel échelon, pour finalement s’imposer à Vuillafans. En fin de saison, il accroche la quatrième place du Challenge Open, qu’il partage avec Damien Chamberod.

Les premiers bruits de moteur dont se souvient Serge Thomas n’étaient pas destinés à propulser des bolides sur un circuit. Ils avaient pour vocation de faire rouler d’imposants camions destinés aux transports de marchandise. Issue d’une famille de chauffeurs-routiers, le natif de la Nièvre ignorait donc tout du sport automobile, si ce n’est qu’il percevait les quelques échos dus à la proximité du Circuit de Magny-Cours.

Enfant, Serge posait un regard admiratif sur les animateurs de la Coupe Gordini qui passaient devant chez lui pour rejoindre le circuit nivernais. Dans son esprit germait déjà l’envie d’imiter ces hommes capables de maîtriser ces puissantes autos. Ses premiers contacts avec la compétition automobile se feront lorsqu’il obtiendra sa sélection au sein d’une école de pilotage, à toujours Magny-Cours. Dans les années 70, Serge Thomas participait donc au Volant Elf, et parvenait à atteindre les Finales. Un beau parcours qui ne sera malheureusement pas suivi d’effet. Mais son talent était toutefois reconnu, ce qui lui valait de décrocher une bourse, attribuée par la Ligue du Centre, qui lui permettra de s’inscrire à l’école de F3 qui tenait ses quartiers sur le circuit de La Châtre : « J’ai terminé deuxième de la sélection, juste derrière Michel Trollé qui par la suite fera une belle carrière en F3000 », se souvient Serge.

N’ayant pas réussi par le biais de ces deux tremplins à décrocher un volant, Serge Thomas décidait d’aborder la compétition automobile en ayant une approche plus raisonnable : « Mes moyens financiers étaient très limités. J’ai donc fait l’acquisition d’une Rallye III avec laquelle j’ai participé, en 1977, à ma première Course de Côte. C’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de René Leguyader qui jouissait d’une réelle notoriété dans le sport automobile régional. A plusieurs reprises nous nous sommes confrontés sur des épreuves, ce qui n’a pas manqué de nous rapprocher. » Chauffeur routier, Serge s’engageait sur des épreuves au gré de ses disponibilités : « Toute la semaine, j’étais au volant du camion, et le week-end, j’essayer de me rendre disponible pour prendre part à des courses, mais ce n’était jamais évident. Je disposais à l’époque de peu de temps libre. »

Au fil des saisons, Serge changeait de montures, en essayant de monter en gamme. La Rallye III sera remplacée par une Rallye II plus performante avant qu’il ne s’installe dans le cockpit d’une monoplace : « J’avais alors une Ralt RT3, après j’ai eu une Dallara 386 propulsée par un 1600 BMW, et c’est René Leguyader qui s’occupait de la maintenance de mes voitures. »

Interruption de carrière…
En 1992, Serge Thomas était victime d’une violente sortie de route sur une épreuve disputée dans l’Yonne. Un accident qui détruisait passablement sa monoplace, arrachant au passage plusieurs éléments de sécurité. Par chance, le Nivernais sortait choqué mais indemne, de cet accident causé par une rupture de rotule arrière sur un triangle : « Au même moment, je venais d’être papa d’un petit garçon, et j’ai considéré cette mésaventure comme une alerte, ce qui m’a incité à mettre un terme à ma carrière sportive. »

Il faudra attendre 17 ans avant de revoir Serge Thomas derrière le volant d’une voiture de course. En 2009, il décidait de participer à la Coupe de France des circuits, en Formule Renault : « Mon retour c’est fait un peu par hasard. J’avais alors créé ma propre société de transport, et j’avais un voisin à côté de chez moi chez qui je garais mon camion, qui possédait une Formule Renault avec laquelle il participait à la Coupe de France des circuits. Il ignorait que j’avais moi-même couru, mais me voyant tourner autour de sa voiture, il m’a proposé de découvrir la compétition automobile, et j’ai donc décidé de tenter à nouveau l’aventure ».

C’est sur le circuit de Croix en Ternois que Serge reprenait du service, « mais lors de la prise en main de l’auto, j’étais complètement à côté de la plaque, dépassé par les événements. Cette Formule Renault n’était pas vraiment préparée pour la course, et malgré tout, je suis rapidement parvenu à signer quelques bons résultats. René Leguyader m’a alors dit que je devrais à nouveau m’essayer en Course de Côte, alors que j’avais décidé de ne jamais revenir sur cette discipline. Finalement il a su me convaincre, et là les sensations sont très vite revenues, l’adrénaline que je ne trouvais pas en circuit était bien présente. »

Le JLT Team, un trio gagnant !
Une première participation qui se soldait par un treizième place : « Un bon résultat compte tenu du fait que je n’avais pas de pneus adaptés à la course. A cette époque René Leguyader souhaitait vendre sa F3 et prendre un peu de recul. Mais un soir, lors d’une discussion à laquelle participait notre ami Eric Jenny, nous nous disions que ce serait sympa d’avoir une Norma pour faire quelques courses au volant d’une auto performante. Nous avons donc réuni nos budgets respectifs, fondé le JLT Team, et acheté une Norma. »

Au début de cette association, Eric Jenny faisait de la double monte, soit avec René Leguyader soit avec Serge Thomas : « Mais jamais René et moi n’avons couru ensemble en double monte, nos épouses respectives refusant que nous puissions raviver une rivalité entre nous sur la piste. » Rapidement, Eric Jenny prenait du recul sur la compétition et ne participait plus qu’à quelques épreuves. René Leguyader faisait également de même, estimant qu’il arrivait à un tournant de sa carrière, où il ne souhaitait plus évoluer au volant d’une auto aussi performante. Malgré tout, l’association perdurait entre les trois potes, mais c’est à Serge Thomas que revenait l’honneur de porter haut les couleurs du team.

Après avoir écumé les épreuves de leur région, sur lesquelles Serge remportait plusieurs succès, il était décidé de tenter l’aventure sur quelques manches du Championnat de France. En 2016, Serge Thomas disputait donc quelques épreuves régionales mais sera également au départ de La Pommeraye et de Marchampt en Beaujolais. Sixième au général et vainqueur du CN/2 sur l’épreuve angevine, Serge terminait troisième de sa classe à Marchampt, dans le sillage de Yannick Latreille et de Damien Chamberod. Des performances de tout premier ordre qui l’incitait, à 60 ans passé, à s’engager cette saison sur un Challenge Open : « Même si c’est moi qui suit derrière le volant, c’est une décision collégiale, prise avec René et Eric », précise Serge Thomas.

C’est sans objectif particulier que Serge Thomas abordait cette campagne sur le Championnat. Elle devait juste lui permettre de découvrir de nouvelles épreuves : « La seule chose que j’ai pensé, quand j’ai découvert la liste des engagés du Challenge Open CN/2, c’était que j’avais choisi la plus mauvaise année. La concurrence était rude, et avec dix-sept partants, il aurait été mal venu d’afficher des ambitions. »

5ème, 4ème, 3ème, 2ème, et finalement vainqueur !
Pour débuter sa saison, Serge Thomas allait découvrir un ’’gros morceau’’, c’est en effet sur le Col Saint-Pierre qu’il prenait part à sa première épreuve : « Lors des reconnaissances, j’ai immédiatement compris que nous n’étions plus dans le même monde. Ce tracé est grandiose et je savais que j’allais devoir l’aborder avec humilité. Et puis l’ambiance et le nombre de spectateur fait rapidement comprendre que nous sommes sur le Championnat de France. » Cinquième du CN/2, Serge peut être légitimement satisfait de son résultat : « Pour être honnête je m’attendais à pire. Sur les premières montées, j’hésitais sur chaque virage, et je suis très content de ma progression tout au long du week-end. »

A Thèreval, où l’on retrouvait Serge pour son deuxième rendez-vous de la saison, la lutte sera acharnée pour accrocher le podium dans sa classe. Au final, on retrouvait le Nivernais au quatrième rang : « Je suis un peu déçu, car sur la dernière montée, j’ai réalisé un beau parcours avant de me retrouver au point-mort, à l’épingle. Je n’ai pas bien compris pourquoi, mais ça m’a fait perdre un temps considérable. »

Serge Thomas poursuivait sa progression, puisqu’après avoir terminé cinquième de sa classe au Saint-Pierre et quatrième à Thèreval, c’est cette fois sur le podium que l’on retrouvait sa Norma à l’arrivée de La Pommeraye. Vainqueur du CN/2 lors de la précédente édition, il terminait cette fois derrière Julien Français et Yannick Latreille : « C’est la première fois, sur une épreuve, que j’ai eu le sentiment d’avoir un peu vieilli. Je l’ai ressenti sur la partie du haut, après la passerelle, où sur les enchainements ma vision avait du mal à être en osmose avec la vitesse atteinte par la voiture. De ce fait j’étais un peu sur la réserve. »

Serge Thomas n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, et c’est sur la deuxième marche du podium qu’il terminait l’épreuve de Marchampt. Une place acquise à l’issue d’un beau combat, car s’il est devancé par Yannick Latreille de 192 millièmes, il devance Damien Chamberod de 67 millièmes : « Sur le moment c’est toujours difficile à accepter d’être battu de si peu. Mais avec le recul, tu te dis que tu t’es battu avec des pilotes tels que Yannick et Damien, et c’est plutôt très revalorisant. Et puis il y a une excellente ambiance entre nous et tellement de respect, que finalement les résultats des autres font également très plaisir. »

Deuxième au scratch à Vuillafans !
Il était écrit que Serge Thomas allait connaitre une constante progression sur ce Championnat 2017. A Vuillafans, il franchissait un échelon supplémentaire en s’imposant en CN/2. Un succès assorti d’une inattendue deuxième place au scratch, derrière Sébastien Petit : « Je suis totalement conscient que j’ai été favorisé par la météo. Mais je suis tout de même satisfait parce que c’est une épreuve que j’ai très peu reconnue, toujours en tant que passager, et sur une course aussi difficile, ce n’est pas évident à aborder. Je garde à l’esprit qu’en signant mon meilleur temps, je fais aussi bien que Geoffrey Schatz en 2012, lorsqu’il évoluait avec la Norma 2 litres, et pour moi c’est très satisfaisant pour une première participation », confie Serge qui savoure pleinement son premier podium sur une manche du Championnat de France : « Et certainement le dernier », lâche-t-il dans un éclat de rire : « Je reconnais que c’est un grand moment, très intense, un magnifique souvenir. »

Vainqueur du CN/2, deuxième au scratch, Serge Thomas ne pouvait pas espérer beaucoup mieux, et il était logique que sa progression s’arrête là. En revanche, il pouvait espérer continuer à se battre sur les podiums, mais malheureusement, il n’en aura plus les moyens : « Il m’a été impossible de trouver des gommes neuves pour le Mont-Dore, et ce sera le cas jusqu’à la fin de la saison. C’est un peu regrettable, car ça ne m’a pas permis de défendre correctement mes chances », regrette Serge. « Au Mont-Dore, je ne dis pas que j’aurais pu signer les chronos de Julien (Français) ou de Yannick (Latreille), mais j’aurais pu améliorer mes temps. Je ne dis pas non plus que ça aurait changé quelque chose sur le fond, c’est juste que quand tu es en compétition, tu souhaites que ce soit dans les meilleures dispositions. Après, le Mont-Dore est un monument, et j’ai eu d’excellentes sensations sur un tracé que j’affectionne tout particulièrement. »

Quatrième de sa classe au Mont-Dore, c’est également au quatrième rang que l’on retrouvait Serge Thomas à l’issue de la Course de Côte de Turckheim : « En étant jamais venu à Turckheim auparavant et en n’ayant fait qu’une dizaine de montées en reconnaissance, ce n’était pas évident d’aborder un tel tracé. Mais j’en garde un excellent souvenir car c’est une très belle épreuve. »

C’est à Limonest que Serge Thomas concluait sa saison par une nouvelle quatrième place en CN/2 : « Ce n’est pas une course qui me réussit. Le rythme est particulier et j’ai du mal à trouver la cadence. C’est un tracé sur lequel il faut savoir se retenir, et si tu n’es pas sur un bon rythme dès le départ, à l’arrivée l’addition peut être lourde. »

Pour Serge Thomas, cette saison 2017 est à marquer d’une pierre blanche. C’est certainement sa plus belle campagne depuis qu’il court, tant il s’est fait plaisir : « Avant tout, j’ai adoré l’ambiance et le respect qui règne au sein du CN/2. Toutes les épreuves du Championnat que j’ai courues cette année m’ont définitivement réconcilié avec la discipline. J’avais peur en arrivant de trouver une ambiance élitiste, avec d’un côté les ténors du Championnat, et d’un autre ceux qui remplissent les plateaux. Ce n’est pas du tout le cas. A la limite c’est même l’inverse du régional où parfois tu rencontres des pilotes imbus d’eux-mêmes, qui ont tendance à se prendre pour des cadors. Cette saison, j’ai pu côtoyer les stars de la discipline, et tout le monde fait preuve de simplicité, le tout dans un esprit très convivial », analyse Serge. « J’ai découvert de beaux parcours, de magnifiques régions, énormément de gens sympathiques, des épreuves qui accueillent de nombreux spectateurs. J’estime que la Course de Côte est une discipline qui n’a rien à envier à d’autres compétition, notamment en circuit. Le Championnat de France de la Montagne est bien plus apprécié que l’on ne pourrait l’imaginer, et suscite un réel engouement. »

Saison complète en 2018
L’année 2018 devrait être particulièrement marquante pour Serge Thomas. En effet, dans quelques mois, il devrait prendre sa retraite professionnelle, ce qui lui laissera plus de temps à consacrer au sport automobile. Et Serge ne va pas s’en priver : « Si tout se passe bien, nous allons participer à l’ensemble des épreuves inscrites au calendrier du Championnat de France de la Montagne. Ce sera à nouveau avec la Norma 2 litres », confie-t-il.

Quand Serge Thomas explique qu’ils vont participer, ce n’est pas un effet de langage. Dans son esprit, c’est le JLT Team qui sera au départ, lui n’étant qu’une pierre angulaire, puisqu’il sera derrière le volant : « Mais sans René Leguyader, je ne serais pas là, et à ce titre je tiens à chaleureusement le remercier. C’est grâce à lui que je suis revenu et c’est lui aujourd’hui qui prépare une voiture qui me convient à la perfection. Je ne peux oublier Eric Jenny, qui apporte sa contribution sans jamais venir demander sa part de plaisir. C’est assez exceptionnel, de nos jours, dans une société aussi individualiste, de voir que l’on peut vivre une telle aventure humaine avec des gens qui font preuve d’une totale abnégation. Notre association est quelque chose de réellement exceptionnel. Je profite de l’occasion pour remercier notre préparateur moteur, Dinatmo, avec qui nous travaillons en étroite collaboration. Ce sont des gens disponibles et réactifs, ce qui est toujours très appréciable. Merci à ma famille et à mes proches qui, à 60 ans passés, me laissent pleinement assouvir ma passion, et un grand merci à mes deux Patrick et à mon Claude. »

Propos recueillis par Bruno Valette


← Retourner à la liste d'articles